La Marianne aux chats errants
Dans un jardin, la statue
d’une femme s’anime soudain et s’avance. Des chats errants
imaginaires la suivent. Au public.
Oui ! C’est moi ! Oui, oui,
c’est moi ! Je marche. Je suis la femme qui marche. J’ondule
quelquefois comme ces chats autour de moi. Je fais le dos rond, le
temps rond, je déambule… Je frise un peu aussi avec la pluie qui
goutte… goutte… dégoûte aussi parfois… Mais je suis là.
Toujours là. (Elle se fige à nouveau en statue).
(Elle s’anime soudain au son d’un
miaulement. Aux chats qui la suivent.) Oui, oui, je vous entends.
J’entends vos cris. Chats-huants va ! Je suis de votre avis.
Je vais en parler à ces gens réunis autour de moi… Finalement,
ils sont un peu comme vous : chats errants en suspens…un bref
instant…
(Elle s’adresse à nouveau au
public.) J’ai juste perdu mon bonnet. Vous ne l’auriez pas
vu ? J’y tiens beaucoup. Il vient de loin, lui aussi, très
loin… On l’appelle phrygien…
Phrygien ? Quel nom étrange…
non ?
Comme ses chats errants qui me suivent
où que j’aille ! C’est étrange… Aucun d’entre eux ne
m’appartient mais ils déambulent à mes côtés, au fil des
gouttes…Ils me suivent. Souvent, et c’est assez beau, je dois
dire…(Elle sourit pensive), je reçois leur déclaration
d’amour…
Vous savez, je n’ai pas l’air comme
ça mais mon jardin est immense ! Rempli d’arbres fruitiers !
Si vous pouviez voir le cerisier en fleurs !(Elle donne des
photographies au public)
J’aimerais vous donner cette
photographie de mon cerisier. C’était avant Fukushima.
(Silence)
Les humains sont étranges… Ils
détruisent les cerisiers en fleurs…
Il suffit juste d’être patient pour
croquer quelques cerises rouges…
Les hommes sans doute préfèrent les
monstres. (Silence).
Ce bonnet était porté par Pâris,
fils de Priam ! Oh ! À dire vrai, les princes me donnent
souvent envie de vomir… Et permettez-moi de dire, surtout les
vôtres… Je préfère ces chats errants qui m’accompagnent et
particulièrement les chats de gouttière…
Je voulais juste vous rappeler que
Pâris était originaire de Phrygie. (Elle se réjouit.) Ha !
Mon magnifique bonnet phrygien ! Vous savez, c’est important
les mots parfois, ça raconte des histoires… Et c’est autre chose
que les « storytelling » à la mode de vos politiques !
Pour vous dire la vérité, je suis
très inquiète d’avoir égaré mon bonnet phrygien. Très
inquiète… Souvenez-vous, c’est aussi le bonnet des esclaves
affranchis de l’Empire romain. Oui, les « esclaves
affranchis »…
La liberté ! Quel mot n’est-ce
pas ? Il vous fait peur non ? (Silence) Et cette
peur est grossièrement entretenue par vos politiques !
Quel jardin que le vôtre !
Tout vous sépare ! Tout vous
égare ! Tout vous éloigne !
Pourquoi avez-vous si peur ?
Pourquoi ? (Silence).
Vous préférez les monstres,
vraiment ?
Vous préférez avoir peur ?
Si vous laissiez la peur aux vraies
histoires…
Vous avez le droit de réclamer
d’autres valeurs !
Vous vous souvenez ? Vous ne
passerez par ici qu’une seule fois !
Aujourd’hui, j’avance, je regarde
vos voix, j’entends vos choix… Je contemple vos élections sur
vos grands écrans plats… Et je vois des gens qui ont eux aussi
perdu la tête ou leur bonnet ! Oui oui, je vous assure… La
tête ou leur bonnet !
Certains me disent « Tous dehors
ces étrangers ! » Et je vois des chiffres clignoter entre
vos publicités, sur vos ordinateurs à la pointe du progrès :
20 % 20 % 20 % ! Quoi ? Deux personnes sur 10 ! Vous
rendez-vous compte ?
D’autres me serinent à tous vents :
« On n’a pas le choix : il faut se débarrasser du nabot
corrompu ! » Excusez-moi mais je reste sans voix !
(Silence)
Je crois que vous aussi, vous avez
perdu quelque chose… (Silence).
Il me semble… Il y a longtemps, je
fredonnais une chanson… Avant que tous ces chats amoureux me
suivent… Cette chanson ? Ecoutez… elle revient doucement au
creux de vos oreilles…Liberté ? Égalité ? Fraternité ?
Oui c’est ça ! (Elle sourit) Liberté ! Égalité !
Fraternité ! Vous vous souvenez ?
C’est elle qui guide encore ces chats
errants qui me suivent ! Oui, c’est elle ! (Silence)
Je crois que vous aussi, vous avez
perdu quelque chose…Vous ne voulez pas m’aider à retrouver mon
bonnet phrygien ?
(Elle avance dans le public)
Vous voulez bien m’aider Madame à retrouver mon bonnet ? Et
vous Monsieur ? Je le portais, il n’y a pas si longtemps… Où
est-il ? (Silence).
Il se cache peut-être dans un cerisier
en fleurs ? (Elle part sans un mot).