Voici le lien pour la librairie :
www.libralire.fr/
Et quelques photos de nous tous (DU Ecriture de Création voir Rubrique) :











.jpg)




.jpg)




.jpg)
.jpg)
Et puis voici l'extrait que j'ai lu :
Pour l'instant, le titre de mon récit doc est Ce que les Vieilles gens ont à nous dire
9. Thérèse Clerc, 86 ans
Dimanche
matin, un café. La fenêtre est ouverte, je sens l'odeur des arbres
après la pluie. Une odeur verte, fraîche. Le bruit de la roue du
vélo du voisin sur l'asphalte humide et puis... Yiiiiiiiiiiii !Ah !
Ensuite quelqu'un siffle ! C'est Eclectik l'émission de
Rébecca Manzoni sur France Inter de 10h à 11h. Thérèse dit « les
vieux » et pas « les personnes âgées » ou « les
seniors » Bande son : musique électroelectro en
crescendo...
Appeler un chat un chat c'est son truc et 86 c'est son âge. Thérèse
vient d'inaugurer la maison des Babayagas un lieu pour les vieilles
qu'elle définit comme suit : « Nous, on veut pas d'maison
d'retraite, on veut pas de bonne femme qui nous emmerde pour faire la
toilette à l'heure et les r'pas à l'heure. »
Voilà.
Un hasard de la vie qui arrive au bon moment... Il suffit juste de le
saisir. Je souhaite interviewer Thérèse Clerc depuis longtemps et
elle surgit sans prévenir dans ma cuisine, un dimanche matin !
Impossible de faire comme si elle n'existait pas. Je me rue sur mon
stylo.
La
voix de Thérèse est grave, un peu rocailleuse parfois, souvent
enjouée. Une parole fluide, qui choque, arpente, déferle, hésite,
se reprend, transforme puis laisse aller. J'entends juste qu'elle
porte un tatouage au creux du poignet : le signe de Vénus, le
signe des femmes. Ses petites filles l'ont emmenée... Quand même
tatouée, c'est les voyous qui se font tatouer. Et puis voilà...
finalement eh bien de la canaille, elle en est !
Thérèse
est autodidacte. Elle explique qu'elle a eu le bonheur de sortir de
l'école à quinze ans car elle s'ennuyait prodigieusement. « Moi,
vous comprenez, je regardais les hirondelles passer et les
professeurs me les faisaient compter ! » Deux langages
radicalement différents « aussi utiles l'un que l'autre »
précise-t-elle pourtant, mais pour elle « regarder passer les
hirondelles, c' est quand même beaucoup plus important ! »
Elle
a reçu une éducation catholique très stricte, dogmatique,
ajoute-t-elle. Remplie de belles cérémonies dont elle n'a gardé
que les musiques religieuses exaltées. Ensuite, au moment de son
mariage, elle est entrée chez « Les fils de la Charité »,
une église tenue par des prêtres ouvriers. Elle a appris Marx à
l'église ! Et elle est devenue « une femme de gauche,
l'évangile dans une main et le Capital dans l'autre. » Assez
rare à l'époque. Comme quoi, les deux peuvent aussi faire bon
ménage !
Les
énormes manif actuelles anti mariage homo l'exaspèrent... qu'on en
soit encore là... La loi est faite pour tous « Je m'excuse
mais dans l'Evangile ou le Nouveau Testament : pas une virgule
sur la sexualité... pas l'ombre d'une virgule ! En revanche
vous trouvez des choses sur l'amour et ça reste une définition
extrêmement vaste. »
En
fait, son université à elle a toujours été l'action collective et
militante. Elle a commencé en pleine guerre d'Indochine... Diên
Biên Phu c'est...54... Elle a commencé en 52 au Mouvement de la
Paix, lequel existe encore. Il s'agissait d'un petit mouvement
crypto-communiste qui apprenait de grandes choses sur le colonialisme
et ses ravages. Pour elle, la vie collective, c'est ce qui rend
intelligent ! Ce petit mouvement lui a permis de connaître des
gens remarquables. Elle s'est mise à lire, échanger, débattre...
Bref, elle est entrée dans la parole et la pensée et elle a fait sa
culture théorique au contact des autres.
Sinon,
Thérèse Clerc habite à Montreuil depuis quarante ans. Quand elle
s'est installée dans ce département de la Seine Saint Denis, elle
était « une femme faite » et même « plus que faite »
mais elle se reprend tout de suite. Cette expression ne veut pas dire
grand chose aujourd'hui... elle relève plutôt de la vision
patriarcale avant Mai 68.
Elle
se souvient... « Pour être une vraie femme, il faut
avoir des enfants. » disait son père. Elle n'a pas fait
d'études, s'est mariée et a eu 4 enfants. Elle portait des
tailleurs Chanel, des escarpins cousus à la main et coiffait ses
cheveux en chignon sévère. Et puis, heureusement, Mai 68 est passé
par là ! Elle a lâché ses cheveux et revêtu des robes
longues en coton. La sensation des cheveux longs sur la peau dans le
dos lui revient... Moi aussi tandis que je bois ses paroles et mon
café.
Pour
elle, la métamorphose : « c'est surtout défaire son
chignon à l'intérieur ! » En effet, c'est ainsi qu'elle
est devenue une femme non faite c'est-à-dire « une vraie
femme » telle qu'elle la conçoit elle, « une femme qui
s'offre son destin et son indépendance ». Et pour Thérèse,
il n'y a rien de plus beau dans la vie d'un être humain :
accéder à la liberté qu'il s'offre !
Le
mariage lui a semblé quelque chose de médiocre, d'emmerdant,
d'enfermant. « Quand tu as quatre enfants, tu ne sors pas. Le
cinéma, le théâtre ou les concerts restent portes closes. Tu fais
des confitures et des cornichons en pot et tu organises des repas
variés et équilibrés pour plaire à tout le monde. Et on te
félicite pour tes plats succulents. »Le rêve généralisé
quoi !
Me
revient soudain en mémoire le livre de recettes Seb de ma
grand-mère. Elle gardait tout ma grand-mère à cause du traumatisme
de la guerre. Sur ce livre de recettes gratuit, offert par la grande
marque, se tenait une jeune femme bien proprette cheveux au carré,
bras ouverts sourire figé, vêtue d'une petite robe manches courtes
en jersey mode Courrèges années 60 et surtout d'un petit tablier à
côté de l’ustensile révolutionnaire : la cocotte minute !
J'étais enfant, je regardais les larmes de ma grand mère à cause
des oignons, la photo de la femme rigide et avenante à côté de la
cocotte en fer … je sentais quelque chose d'étrange... comme si la
vie entière de la dame se retrouvait enfermée au fond de
l'instrument en fer à vapeur... Plus tard, ma tante Irène
organisait des rencontres tupperware chez elle avec ses 3 sœurs et
les voisines. Je voyais encore la même chose... la vie d'Irène
enfermée dans la boîte en plastique rectangulaire comme un petit
cercueil transparent qu'on empile dans son frigo parce que c'est plus
pratique.
Thérèse
s'aperçoit qu'elle tutoie facilement. Ça c'est un vieux réflexe
militant... elle ajoute C'est beau je trouve.... De son mariage sont
nés 4 enfants qui l'ont comblée. On ne sait rien du mari sinon
qu'elle a divorcé en 68. Pour elle, Mai 68, c'était « les
écluses de l'histoire qui s'ouvraient » et un flot de
paroles ! Les femmes se réunissaient ! Enfin, elles
parlaient de leur corps, de leur cul, de leur ventre. « Mon
corps est à moi et j'en fais ce que je veux ! » c'était
le grand slogan. Elles libéraient les mots, la parole. Elles
émaillaient leurs récit de jurons : « Ha putain ! »
« Nom de Dieu ! » alors que c'était absolument un
pêché à l'époque d'oser dire Nom de Dieu, « Il me fait
chier ! », « Il m'emmerde ! ». Et puis
elles se sont aperçues qu'elles parlaient encore beaucoup trop des
hommes... « On a alors refusé l'homme jusque dans
l'intime ! explique Thérèse. La relation homosexuelle est
devenue pratique politique. Elle rit...Sauf qu'on s'est vite
rendu compte que ce n 'était pas si dégueulasse ! »
Effectivement, nombreuses ont été les femmes à découvrir le
plaisir et la jouissance du corps pour la première fois. Et c'était
autre chose que le devoir conjugal. Le monde s'est encore ouvert :
l'amour avec les hommes ou avec les femmes ! Quelle liberté !
Elle ajoute qu'avec les hommes, l'orgasme n'est pas toujours au bout
du chemin. En revanche avec les femmes c'est autre chose. Elles ne
sont pas centrées sur leur virilité. Et puis, elle rit encore.
Non... plus sérieusement, elle aime autant les hommes que les femmes
et elle ajoute « Ce n'est pas les hommes qu'il faut combattre,
c'est le système. »
L'insolence
joyeuse de l'émission de radio se propage dans ma cuisine. On entend
la chanson de Colette Renard « Les nuits d'une demoiselle »
qui date de 45 quand même...