mardi 20 août 2013

Libralire !

Le Samedi 29 Juin 2013, à la Librairie Libralire 116 Rue Saint Maur dans le 11e arrondissement à Paris, nous avons lu des extraits de notre récit documentaire !

Voici le lien pour la librairie :
www.libralire.fr/‎

Et quelques photos de nous tous (DU Ecriture de Création voir Rubrique) :








































 


Et puis voici l'extrait que j'ai lu :
Pour l'instant, le titre de mon récit doc est Ce que les Vieilles gens ont à nous dire 

9. Thérèse Clerc, 86 ans


Dimanche matin, un café. La fenêtre est ouverte, je sens l'odeur des arbres après la pluie. Une odeur verte, fraîche. Le bruit de la roue du vélo du voisin sur l'asphalte humide et puis... Yiiiiiiiiiiii !Ah ! Ensuite quelqu'un siffle ! C'est Eclectik l'émission de Rébecca Manzoni sur France Inter de 10h à 11h. Thérèse dit « les vieux » et pas « les personnes âgées » ou « les seniors » Bande son : musique électroelectro en crescendo... Appeler un chat un chat c'est son truc et 86 c'est son âge. Thérèse vient d'inaugurer la maison des Babayagas un lieu pour les vieilles qu'elle définit comme suit : « Nous, on veut pas d'maison d'retraite, on veut pas de bonne femme qui nous emmerde pour faire la toilette à l'heure et les r'pas à l'heure. »

Voilà. Un hasard de la vie qui arrive au bon moment... Il suffit juste de le saisir. Je souhaite interviewer Thérèse Clerc depuis longtemps et elle surgit sans prévenir dans ma cuisine, un dimanche matin ! Impossible de faire comme si elle n'existait pas. Je me rue sur mon stylo.
La voix de Thérèse est grave, un peu rocailleuse parfois, souvent enjouée. Une parole fluide, qui choque, arpente, déferle, hésite, se reprend, transforme puis laisse aller. J'entends juste qu'elle porte un tatouage au creux du poignet : le signe de Vénus, le signe des femmes. Ses petites filles l'ont emmenée... Quand même tatouée, c'est les voyous qui se font tatouer. Et puis voilà... finalement eh bien de la canaille, elle en est !

Thérèse est autodidacte. Elle explique qu'elle a eu le bonheur de sortir de l'école à quinze ans car elle s'ennuyait prodigieusement. « Moi, vous comprenez, je regardais les hirondelles passer et les professeurs me les faisaient compter ! » Deux langages radicalement différents « aussi utiles l'un que l'autre » précise-t-elle pourtant, mais pour elle « regarder passer les hirondelles, c' est quand même beaucoup plus important ! »
Elle a reçu une éducation catholique très stricte, dogmatique, ajoute-t-elle. Remplie de belles cérémonies dont elle n'a gardé que les musiques religieuses exaltées. Ensuite, au moment de son mariage, elle est entrée chez « Les fils de la Charité », une église tenue par des prêtres ouvriers. Elle a appris Marx à l'église ! Et elle est devenue « une femme de gauche, l'évangile dans une main et le Capital dans l'autre. » Assez rare à l'époque. Comme quoi, les deux peuvent aussi faire bon ménage !
Les énormes manif actuelles anti mariage homo l'exaspèrent... qu'on en soit encore là... La loi est faite pour tous « Je m'excuse mais dans l'Evangile ou le Nouveau Testament : pas une virgule sur la sexualité... pas l'ombre d'une virgule ! En revanche vous trouvez des choses sur l'amour et ça reste une définition extrêmement vaste. »
En fait, son université à elle a toujours été l'action collective et militante. Elle a commencé en pleine guerre d'Indochine... Diên Biên Phu c'est...54... Elle a commencé en 52 au Mouvement de la Paix, lequel existe encore. Il s'agissait d'un petit mouvement crypto-communiste qui apprenait de grandes choses sur le colonialisme et ses ravages. Pour elle, la vie collective, c'est ce qui rend intelligent ! Ce petit mouvement lui a permis de connaître des gens remarquables. Elle s'est mise à lire, échanger, débattre... Bref, elle est entrée dans la parole et la pensée et elle a fait sa culture théorique au contact des autres.

Sinon, Thérèse Clerc habite à Montreuil depuis quarante ans. Quand elle s'est installée dans ce département de la Seine Saint Denis, elle était « une femme faite » et même « plus que faite » mais elle se reprend tout de suite. Cette expression ne veut pas dire grand chose aujourd'hui... elle relève plutôt de la vision patriarcale avant Mai 68.
Elle se souvient...  « Pour être une vraie femme, il faut avoir des enfants. » disait son père. Elle n'a pas fait d'études, s'est mariée et a eu 4 enfants. Elle portait des tailleurs Chanel, des escarpins cousus à la main et coiffait ses cheveux en chignon sévère. Et puis, heureusement, Mai 68 est passé par là ! Elle a lâché ses cheveux et revêtu des robes longues en coton. La sensation des cheveux longs sur la peau dans le dos lui revient... Moi aussi tandis que je bois ses paroles et mon café.
Pour elle, la métamorphose : « c'est surtout défaire son chignon à l'intérieur ! » En effet, c'est ainsi qu'elle est devenue une femme non faite c'est-à-dire « une vraie femme » telle qu'elle la conçoit elle, « une femme qui s'offre son destin et son indépendance ». Et pour Thérèse, il n'y a rien de plus beau dans la vie d'un être humain : accéder à la liberté qu'il s'offre !
Le mariage lui a semblé quelque chose de médiocre, d'emmerdant, d'enfermant. « Quand tu as quatre enfants, tu ne sors pas. Le cinéma, le théâtre ou les concerts restent portes closes. Tu fais des confitures et des cornichons en pot et tu organises des repas variés et équilibrés pour plaire à tout le monde. Et on te félicite pour tes plats succulents. »Le rêve généralisé quoi !
Me revient soudain en mémoire le livre de recettes Seb de ma grand-mère. Elle gardait tout ma grand-mère à cause du traumatisme de la guerre. Sur ce livre de recettes gratuit, offert par la grande marque, se tenait une jeune femme bien proprette cheveux au carré, bras ouverts sourire figé, vêtue d'une petite robe manches courtes en jersey mode Courrèges années 60 et surtout d'un petit tablier à côté de l’ustensile révolutionnaire : la cocotte minute ! J'étais enfant, je regardais les larmes de ma grand mère à cause des oignons, la photo de la femme rigide et avenante à côté de la cocotte en fer … je sentais quelque chose d'étrange... comme si la vie entière de la dame se retrouvait enfermée au fond de l'instrument en fer à vapeur... Plus tard, ma tante Irène organisait des rencontres tupperware chez elle avec ses 3 sœurs et les voisines. Je voyais encore la même chose... la vie d'Irène enfermée dans la boîte en plastique rectangulaire comme un petit cercueil transparent qu'on empile dans son frigo parce que c'est plus pratique.
Thérèse s'aperçoit qu'elle tutoie facilement. Ça c'est un vieux réflexe militant... elle ajoute C'est beau je trouve.... De son mariage sont nés 4 enfants qui l'ont comblée. On ne sait rien du mari sinon qu'elle a divorcé en 68. Pour elle, Mai 68, c'était « les écluses de l'histoire qui s'ouvraient » et un flot de paroles ! Les femmes se réunissaient ! Enfin, elles parlaient de leur corps, de leur cul, de leur ventre. « Mon corps est à moi et j'en fais ce que je veux ! » c'était le grand slogan. Elles libéraient les mots, la parole. Elles émaillaient leurs récit de jurons : « Ha putain ! » « Nom de Dieu ! » alors que c'était absolument un pêché à l'époque d'oser dire Nom de Dieu, « Il me fait chier ! », « Il m'emmerde ! ». Et puis elles se sont aperçues qu'elles parlaient encore beaucoup trop des hommes... « On a alors refusé l'homme jusque dans l'intime ! explique Thérèse. La relation homosexuelle est devenue pratique politique. Elle rit...Sauf qu'on s'est vite rendu compte que ce n 'était pas si dégueulasse ! » Effectivement, nombreuses ont été les femmes à découvrir le plaisir et la jouissance du corps pour la première fois. Et c'était autre chose que le devoir conjugal. Le monde s'est encore ouvert : l'amour avec les hommes ou avec les femmes ! Quelle liberté ! Elle ajoute qu'avec les hommes, l'orgasme n'est pas toujours au bout du chemin. En revanche avec les femmes c'est autre chose. Elles ne sont pas centrées sur leur virilité. Et puis, elle rit encore. Non... plus sérieusement, elle aime autant les hommes que les femmes et elle ajoute « Ce n'est pas les hommes qu'il faut combattre, c'est le système. »
L'insolence joyeuse de l'émission de radio se propage dans ma cuisine. On entend la chanson de Colette Renard « Les nuits d'une demoiselle » qui date de 45 quand même...