samedi 10 août 2013

Vieille Statue au jardin Public



Un banc vert à la peinture écaillée où je vais m'asseoir, le temps d'une courte pause. Des militaires passent. Un banc public résiste dans le jardin venté et offre un moment de pause au quidam, à qui veut, à qui vague, à qui s'évade au grand air loin du vacarme ambiant. A l'abri des arbres aux feuilles légères qui virevoltent au soleil et au vent, au creux des grandes racines qui surgissent, transpercent le sable mêlé au gravier gris et marron. Je regarde la vie passer, juste passer. Comme c'est important ! Juste regarder. 

Une petite dame s'avance dans l'allée. Pas l'allée centrale qui déroule son tapis de petits cailloux de façon solennelle, implacable dans sa grande largeur. De sa longueur rectiligne infinie qui s'étale et effraie. Non, sur le côté, dans une allée plus petite qui jouxte la première, la grande. Une allée moins impressionnante.

La petite dame porte un foulard bleu vert noué autour du menton. Son front grand et sinueux est en avant, il tire le reste du corps en marche. Les yeux s'étirent sur le côté en écheveau de rides comme autant de chemins de vie. Je ne distingue pas leur couleur depuis mon banc. Le front bombé résiste dans ce corps en marche, maigre et noueux.

Un blazer vert à motifs cachemire blancs un peu passés par le soleil est fermé par trois boutons vert. Il suit les mouvements de la marche courbée, front en avant, un peu cahotante et dissimule mal le corps maigre. Dessous, une robe foncée à carreaux plus clair au raz des mollets comme des fils tendus et le col d'un chemisier à fleurs bleu et blanche juste sous le menton anguleux. La variété et le mélange des motifs attire l'oeil tandis qu'un épais nuage noir cache le soleil. La petite dame tient un sac à main noir.

En avant, elle avance pas à pas et le chemin plus petit qu'elle a choisi semble un désert sans fin tant son pas est ralenti et son front tendu en avant vers un point qu'elle seule doit connaître. J'aperçois les poignets fins, très minces et les mains parsemées de veines saillantes. Ce qui me frappe à cet instant, c'est la finesse du corps comme parcheminé. Décharné et fragile, extrêmement. Il se tend pourtant vers l'avant. Dans un mouvement peu assuré mais résistant, en avant. Le front, bombé sinueux en avant, le regard clair dans le gris de l'orage qui menace. Elle doit être très âgée. Je ne saurais en dire plus sur cet âge, elle a dépassé toutes les mesures, les agendas qui découpe, fragmente et compte. Comme métaphysique, elle avance. Dans un présent qui seul compte désormais. Je ne suis disponible qu'à cette observation.

Plus de montre, pourtant quelque chose déferle très lentement.

Comme les statues de Giacometti, ce fil extrême de vie au-delà du corps décharné, élimé réduit à l'ultime. A cet instant, le misérabilisme souvent accolé aux vieux corps n'a surtout pas lieu d'être. Le fil de vie raconte la solitude à l'oreille des morts. Et cette solitude révélée à qui prend le temps de voir, est une gloire très sûre. Elle tient éveillée le courage et le silence.