samedi 14 septembre 2013

D'un même mouvement l'armée des faibles s'est levée

J'ai souvent besoin de ce texte. Il est à mes côtés :

J'ai fait un songe
c'était quoi c'était dans la paix fraîche d'un matin
et soudain à l'heure non dite
d'un même mouvement l'armée des faibles s'est levée
sur les routes dans les rues de nos villes sur les pistes du désert
au bord des fleuves millénaires
face à l'ombre énorme des montagnes
des millions se sont levés
affamés vieillards éclopés vagabonds enfants malades malingres                               mutilés souffreteux
des hommes forts aussi oh mais
pas des forts à votre manière
des hommes plus effarouchés que la jonquille
et qui cachent leur grosse voix dans des chansons de vieilles
des millions de choses humaines nues et légères
se pressaient sur les routes
comme soudain issues des pierres des arbres des vagues des caves des trous de rats
des foules silencieuses et verticales
sans rites et sans appartenance
le front levé l'oeil immobile fixant le jour
rien d'autre savez-vous dans mon songe que l'innombrable peuple des faibles des écartelés
debout muet
dans la demeure splendide du paysage
un vent de silence coulait sur le monde
je ne sais rien d'autre
sinon qu'il n'y avait ni hommes ni fils de guerre
ni chefs de guerre
ni Dieu ni prophètes
pas même l'épée de feu des archanges
rien que des millions de choses humaines légères et nues
debout sur tous les horizons du monde
le songe est dit
c'est l'obstination du cerisier qui fait déborder la lumière
et voici ma prière furieuse
dans la sueur du soir
dispersée.

Fin de Stabat mater Furiosa, Jean-Pierre Siméon, Les Solitaires intempestifs, 1997