samedi 10 août 2013

Ce que les Vieilles Gens ont à nous dire



Voilà le début de mon récit documentaire, une très belle aventure dans le cadre du DU Ecriture de Création ouvert en 2012 à l'université de Poitiers en partenariat avec Aleph. Pour tous ceux que cela intéresse, j'en dis plus sur le DU en question : voir le libellé à ce sujet. 

Bon le titre du récit doc pour l'instant est :


Ce que les vieilles gens ont à nous dire...




Pour l'instant, je n'ai rencontré que des dames. Les hommes âgés parlent moins facilement semble-t-il ou se mettent davantage en scène. Question d'époque, d'éducation ? J'ai pourtant quelques volontaires... je suis en train de m'organiser pour les contacter. En attendant, voici le début du récit. 






Les cachés 

Les parqués
Les qui traînent, qui radotent, qui cahotent
Ceux qui s'engloutissent et dévalent 
Encore debout
Bien vivants à travers les rides







Voilà, aujourd'hui Mardi 5 Mars 2013, j'aimerais aller à la rencontre des vieilles gens toutes cabossées ou non. Ceux qu'on cimente avant même la tombe, dans un déni quasi organisé, sans même savoir qui ils sont vraiment.Je souhaiterais regarder les visages froissés et entendre leurs voix.Un peu brisées, chaotiques ou rieuses. Partager leurs silences, leurs histoires, leurs folies, leurs aventures.



Donner une place à la vie des vieux corps fragiles ou pas, dans les bourrasques marchandes.



Mais Pourquoi ? Pourquoi ce choix ? Les autres me regardent d'un air étrange. Une incompréhension affleure et les questions se font plus pressantes voire intrusives. En tout cas, je les ressens ainsi. Il faut justifier de façon plus précise, ce choix... Absolument justifier, démontrer, expliquer, argumenter... Pour convaincre que oui c'est important, c'est intéressant, c'est tout à fait... Alors qu'au fond, ce sujet s'impose à moi. Je parviens juste à dire ou répéter que c'est ce dont j'ai besoin, c'est tout. Et je n'ai pas envie d'expliquer, d'argumenter davantage. Aujourd'hui, j'ai envie d'écrire que c'est justement lorsqu'on arrête de se demander pourquoi et que l'on sent juste à l'intérieur de soi que c'est important que le choix s'impose. C'est assez mystérieux. Cela devrait suffire, le mystère, l'obscur, l'étrange surgi du fin fond des âges. A mes yeux, en tous cas. Mais bon, l'étrange, l'obscur, le vide cela fait toujours un peu peur. Il faut le risquer, le combler peut-être. Et puis, il faut bien parler avec les autres, tenter d'articuler quelques paroles qui ne suffisent pas, jamais, forcément puisque les autres ne ressentent pas cette nécessité.




En fait, ce choix des vieilles gens est venu de façon très instinctive. Comme un instinct de vie qui affleure et l'emporte. C'est encore étrange... aller vers ceux qui penchent, ceux qui tombent, ceux qui s'engloutissent un peu plus, pour être au plus près du vivant ! C'est vrai, c'est paradoxal... Des voix résonnent soudain, celle d'Antonin Artaud, venue de nulle part, au bord des cadavres. Celle de Maria Casares donnant les poèmes du vieux fou. Des images aussi. Madeleine Renaud qui joue Winnie laquelle s'enfonce, s'enfonce dans une motte de terre, son sac à main d'un coté, une ombrelle, légère, dans l'autre main. « Chante Winnie, chante, il n'y a plus que ça à faire » Dire quelque chose sur le fil du vide.




A dire vrai le départ, l'ultime départ, le premier instant qui justifie le sujet est une émotion vive et une colère. L'émotion est arrivée sans prévenir comme souvent, en arrivant à Poitiers pour cause de mutation professionnelle. Dans la solitude d'une nouvelle installation au cœur d'une ville inconnue, je me rendais au parc de Blossac, sur un banc public pour lire, respirer l'odeur des arbres et du vent. Tous les mercredis, un homme très âgé et une dame également très âgée et très élégante se rendaient sur un autre banc, proche du mien. J'entendais leurs voix. Ils étaient l'un près de l'autre. Le vieil homme avait du mal à lire les mots car sa vue baissait. Elle lui lisait à voix haute les livres de Colette. Et, ils discutaient aussi. Ce moment m'a profondément touchée, dans sa simplicité, dans l'attention donnée à l'autre : je l'ai trouvé rare et précieux.




Ma colère est plus générale. Elle a surgi de cette société absurde, dans sa maltraitance des vivants et des morts. Une communauté humaine qui exclut. Les non-productifs, les vieux non-productifs comme beaucoup d'autres, différents... une société qui fait le tri comme si les vieilles gens n'existaient plus vraiment. 




Je me souviens d'un petit jeu absurde. J'étais allée au Foyer René Crozet, il y a 5 ou 6 ans dans le cadre de « lectures spectacles ». Les vieilles gens étaient réunies à une table pour « le goûter »... Ce mot de la directrice du Foyer était un peu comme pour les enfants. Nous allions jouer des textes à la carte et nous tournions de table en table, dans une ronde de mots un peu folle. Beaucoup de voix se mêlaient. Après le spectacle, nous prenions le thé avec les vieilles personnes et nous discutions des textes joués, autour et au-delà quand cela arrivait. Les femmes qui servaient le fameux goûter disaient « il » ou « elle » en parlant des personnes « Il va bien, Monsieur Jean aujourd'hui ? Il va manger une petite tarte aux pommes ? » Et les vieilles gens à qui on s'adressait de la sorte, se laissaient faire, trimbalés cahin-caha, comme sur déambulateurs vocaux. Tout le monde jouait ce jeu étrange et vide très bien orchestré, en pilote automatique, d'une vie sans vie, comme objectivée, dans une présence absence terrifiante. Sensation d'absurdité dégueulasse.




Un déni organisé des vieux, les rebuts, les pesants, les « qui traînent » et n'en finissent pas de... Qui encombrent. Déni, soit dit en passant, d'autant plus absurde dans une société occidentale vieillissante. Des vieux à qui on parle sans dire, seulement intéressants car ils permettent la mise en place d'un nouveau marché florissant : Des « grosses boîtes de vieux », hors de prix, avant la grande, l'ultime ! Lesquelles rapportent gros, très gros... Et réservées à ceux qui ont les moyens. Les autres on s'en fout comme toujours, comme souvent.Vous vous dites sans doute, c'est une colère banale, dépassée, désuète et puis qu'est-ce qu'on y peut... C'est comme ça. Elle est naïve.




Pourtant, un jour, cette rencontre, sur les ondes radiophoniques avec Thérèse Clerc, une babayaga. Sa voix sonne encore à mon oreille et fait écho à ma colère. Thérèse Clerc a 86 ans et s'insurge contre cette société mortifère qui enterre ses vieux six pieds sous terre avant même qu'ils n'atteignent leur dernier printemps ! Mon Pilot, G1 pointe 0,5 frémit. Tous les deux, nous allons à la rencontre de...